Paris, Seghers, 349 pages.
” 1896 ; un dur hiver noircit les vitres de Paris ; la neige a couvert les trottoirs d’un drap épais, puis a fondu ; on attend à nouveau qu’elle tombe. Chaque bec de gaz crache sa flamme jaune au cœur d’une plume de paon, irisation des gouttelettes de la brume.
Rue Descartes, au carreau d’un garni, un papillon rouge vacille, tremble et rouvre ses ailes ; c’est une lampe à pétrole dont la mèche noircissante va mourir. Le vieux malade est tombé sur le carrelage ébréché. Sa chemise de nuit, crasseuse, est remontée sur ses cuisses comme sur le dessin de Daumier Les Massacres de la rue Transnonnain. Il grogne et gémit ; il jure. Une de ses jambes, énorme et raide, a la couleur bleue d’une seule monstrueuse ecchymose. Il halète. Il griffe les carreaux avec ses ongles. Il crie : «Eugénie ! » Il se tait. Son souffle bruyant accompagne l’agonie de la lampe. Un fiacre qui passe ébranle les vitres de la maison et un chant d’ivrogne tourne le coin de la rue, vacille, puis disparaît.
Il est étendu par terre, dans sa chemise sale, avec son crâne chauve et sa barbe emmêlée, et il pousse encore quelques jurons; puis il gémit comme un enfant qui rêve : «Philomène… » Il se tait. “
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” Entre les mains qui le bordent et resserrent les couvertures autour de lui, le vieux se sent filer, tomber dans un trou immense ; une brèche de lumière s’ouvre à travers cette nuit : c’est le pâle soleil de Metz sur les vertes esplanades, à l’heure où sonne la diane étouffée des casernes ; la nuit va descendre, et le petit Paul tend son front ravi aux lèvres de la plus belle des femmes :
—Bonsoir, maman, dit-il. “