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Élixir-élections

Par Alain

Fils adoptif de Françoise, heureux de contribuer à faire vivre sa pensée et son œuvre.

Publié le 13/04/2022

Dans ce temps particulier de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle française, je ne peux m’empêcher de revenir trente années en arrière. À 38 ans, j’avais toujours refusé de déléguer mon pouvoir, de me faire représenter ou de contribuer à élire ce chef d’État monarchique que la Ve République avait institué. Françoise et moi, comme beaucoup d’autres, n’accordions que peu d’intérêt à cette messe alors renouvelée tous les sept ans et préférions, de très loin, lutter sur le terrain.

Mais, après les difficiles années 80 et les désillusions engendrées par les trahisons de la gauche de gouvernement sous le règne de Mitterrand, la peste émotionnelle prit peu à peu de l’ampleur, le rejet de l’autre, le racisme, la haine eurent droit de cité et rencontrèrent un tel écho dans ce qu’il est convenu d’appeler « le corps électoral » que je finis par décider, en 1992, de voter pour la première fois. Les discussions qui précédèrent et suivirent ma décision furent intenses entre Françoise et moi. En mai de cette même année, elle fit paraître dans L’Imbécile de Paris (“journal d’humour et d’opinions interdit aux journalistes”) le texte suivant :

Élixir-élections
Quelqu’un qui m’est très proche s’est fait inscrire pour la première fois sur les listes électorales, en mars 1992, pour : « barrer la route à Le Pen ».
Je respecte sa décision. J’en respecte l’esprit. Je respecte toutes les libertés, y compris celle de voter.
Si je refuse de le faire, je suscite l’étonnement : « Comment, toi qui ne parles que de politique ?… » Précisément. Mon refus personnel de voter est un acte politique. Depuis des années, je fais de la politique – comme tout le monde, car tout le monde en fait même en croyant n’en point faire, comme l’a dit, jadis, Napoléon (1). Admettons seulement qu’il y a bien des manières d’en faire. Et si mon opinion est que voter n’en est point la meilleure ?
Oui, on fait de la politique en écrivant un poème, en posant une bombe, en faisant un enfant ou en le refusant, en discutant le prix du métro ou la pêche à la baleine. En votant, je remets tous ces soins (parmi d’autres) à une autre personne que moi. Pourquoi pas ? Certes, dans le passé, cela fut matériellement nécessaire. L’est-ce toujours ?
« Le peuple renonce à son pouvoir au moment où il croit l’exercer. » C’est Sun Yat-Sen qui écrivit cet aphorisme après avoir étudié le mécanisme des élections françaises, avant de renverser le plus vieux pouvoir féodal du monde, le chinois, en 1911.
« Les honnêtes gens au pouvoir seront aussi impuissants que les canailles seront néfastes. » C’est Louise Michel qui, au retour d’exil, formula cette observation pendant une campagne électorale de la IIIe République.
Sans croire à la très résistible ascension de Le Pen – et si je me trompais, avec quel fracas chuterait son pouvoir après à peine quelques mois ! –, je ne néglige nullement sa très réelle menace : c’est celle d’un détonateur. Toutes les ordures, depuis si longtemps enfouies, remontent à la surface ? S’il éclate, un jour, un pogrom anti-bronzés, il en sera responsable ? Oui ? Mais ce n’est pas le bulletin de l’isoloir qui servira d’antibiotique à ce virus. Les deux faits ne se passent pas dans le même champ de réalité. Quel génocide se heurta jamais à un suffrage ? Quelle peste émotionnelle échoua-t-elle jamais contre un discours ?
1981 fit fleurir les roses de l’espoir pour beaucoup de monde. On voit, aujourd’hui, ce qu’on vaut l’aune. A-t-on besoin de rappeler ce que nous vaudrons ceux qui l’enterrent aujourd’hui ? Déjà, à cette époque lointaine, j’appelais à voter pour Coluche ! Si le petit poisson électoral est appelé à décider de son sort, être frit ou bouilli, on conçoit préférable de sauter hors du plat.
On a pu, jadis, mourir pour le droit de vote, comme cette Anglaise qui se jeta sous le cheval du King. « God did not save her ! » Si au lieu de se crêper le chignon pour la place à table on allait plutôt, tous ensemble, voir ce qui se passe aux cuisines ? Aux cuisines électorales qui fabriquent cet élixir, ou plutôt ce placebo ? Oui. Mais surtout aux cuisines planétaires. N’est-il pas temps de changer de… régime ?
(1) Napoléon fit cette réponse au fils de Mme de Staël qui protestait que sa mère voulait seulement « faire de la littérature ».

Françoise d’Eaubonne

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